Jeudi, 14 février… plutôt 15 février 2008
Oui, j’ai du chagrin…
On a beau être fondamentalement positif, viscéralement, foncièrement, intrinsèquement, profondément positif… il y a des moments où « ça va mal à shop ! » Cette nuit, je dors mal. À vrai dire, je ne dors pas… Je suis à mon ordi, à déplacer des mots… J’essaie de comprendre. Mais c‘est difficile. C’est comme si j’assemblais un casse-tête fait de milliers de morceaux teintés de couleurs sombres, enchevêtrées les unes aux autres. Je n’y arrive pas très bien…Je ne discerne pas très bien non plus. Puis, je n’ai vraiment pas de patience…
A vrai dire, je refuse de comprendre… C’est ça mon problème. J’ai trop de peine…
Pourtant, j’ai eu le plus beau souper du monde. Pierre est formidable ! Nous sommes allés au resto pour la Saint-Valentin. Le vin ? Suave… ! La fondue chinoise ? Magique ! La conversation ? Comme à l’habitude… ! On se dit tout… enfin, je crois. Disons qu’on se dit surement presque tout ! Entre vous et moi, avouons que ces temps-ci, le jardin secret en a pris un coup ! Il a pas mal perdu de son territoire personnel et ses palissades ne semblent plus insurmontables ! Je l’aime, mon Pierre… On a parlé de nous deux. On est tellement bien ensemble… Puis, on a rêvé de la prochaine maison et exprimé notre vif désir que celle du moment se vende … au plus sacrant ! Évidemment, on a jasé de mes rencontres d’aujourd’hui avec l’oncologue et l’infirmière pivot. Rencontres marquantes. Deux femmes extraordinaires. Franches. Honnêtes. Très honnêtes même…. On sait tous que la franchise fait du bien, mais qu’elle fait mal aussi…
Pierre et moi avons compris cet avant-midi, que je suis abonnée au cancer ! Oui, j’ai un abonnement à vie. Wow ! Puis, ça ne me coûte rien… C’est gratuit ! C’est ça un cancer métastasique…
« Combien d’années voulez-vous ? », me donne-t-elle comme réponse lorsque je lui demande combien de temps, il me reste… Dans ses yeux, j’ai bien lu que tout est entre mes mains. Entre moi et le cancer. Entre moi et la force de ma santé. Entre moi et mon esprit combatif. Entre moi et… le compte à rebours qui est commencé. Qui court un peu… un peu trop vite, à mon goût. Mon charmant petit cancer des ovaires gobe mon utérus, mes intestins et ses petites amies métastases sont en forme et visent à se disséminer avec férocité. Comme le Larousse, elles sèment à tout vent, les maudites ! Pourquoi pas un superbe voyage dans mon cerveau, sur mes poumons, mes seins…? se proposent-elles.
Je croyais que les traitements de chimio en viendraient à bout. Les trucideraient. Les anéantiraient. Les piétineraient. Écraseraient. Émietteraient. Tueraient. Tueraient une fois pour toutes.
Je croyais que le combat serait de force égale. Taxol et Carboplatine contre métastases ! No way ! On ne tue pas des métastases : on les neutralise… jusqu’à ce qu’elles se dévoilent ailleurs. Je les ai dans le corps jusqu’à ma mort. Selon la vitesse et la force qu’elles ont les maudites, les périodes de « repos » de leur expansion varieront au fil du restant de ma vie… J’ai un cancer de force 4 et de grade 3. !!! Mais j’ai aussi une tête de cochon !
Anyway, je sais qu’on finit tous par mourir un jour. Cancer ou pas. Sauf que j’essaie de comprendre ce qui m’arrive. C’est un gros coup de poing ! Je suis vindicative de nature, mais là…Disons que les larmes me montent pas mal aux yeux ! On dirait que les dés sont pipés ! Que ma guerre est perdue d’avance… Je vais gagner des batailles….puis va toujours falloir que je recommence. Jusqu’au bout…Combattre… Je ne savais pas que je jouerais à cache-cache avec ce monstre… Je ne savais pas que le gagnant était déjà choisi dans cette lutte inégale, et qu’il s’appelait métastase. Je croyais que c’était une « colonie » de la mère patrie, nulle autre que ma tumeur. À vrai dire, je croyais qu’après six mois de chimio, ces petites pourritures ou moisissures qui se sont déplacées rapidement dans mon cou, seraient reléguées aux oubliettes. Une vieille histoire, quoi ! Pantoute. Ce sont des colocs ! Pis, elles ne payent même pas de loyers, les salopes ! C’est ma santé qui les nourrit. Plus je suis en forme, plus elles sont voraces. Elles vont me bouffer !
« Combien d’années voulez-vous ? »… Je ne sais pas… Cette nuit, je me dis qu’être en santé, c’est pas toujours une bonne idée ! Ça se retourne contre moi… Oui, nous connaissons tous des gens qui ont eu le cancer, à qui on donnait peu de temps et qui s’en sont sortis gagnants. La question qui tue ? Avait-il un gentil cancer métastasique… ? Sûrement pas… Car on ne guérit pas d’un tel cancer. On vit avec ! On se bat contre lui jusqu’au bout… On meurt avec. On est un abonné du cancer !
J’ai tout relu encore une fois vos commentaires. Quelle idée géniale ma fille Catherine a eu que de créer ce blogue. Cette nuit, pendant que vous dormez, je me reconstruis le moral en lisant vos écrits qui me rassurent, me réconfortent, m’apaisent et surtout me consolent.
Comme me le disait, mon grand ami Claude : "Vois-toi comme une éponge. Laisse-toi imbiber de toute l’énergie qu’on t’envoie. Prends tout. Tout. Et ne laisse plus rien ressortir. Garde tout. Tu as dorénavant besoin de tout… »
Vos commentaires, votre force s’imprègne en moi… Je me sens mieux… moins triste…Merci.
Mais quelle journée !
J’ai aussi appris que l’un des effets secondaires de ma chimio étant le fourmillement dans les pieds et les mains deviendra un effet permanent, avec le temps… J’ai rien que d’affaire à jouer du piano tous les jours… J’espère que ça ne m’empêchera pas de toucher le clavier de l’ordi et d’écrire mes romans…
J’ai aussi rencontré la pharmacienne. C’est elle qui prépare les potions magiques de mes traitements de chimiothérapie. « Vous n’avez pas perdu vos cheveux ? » s’étonne-t-elle en m’apercevant. Car j’ai tous mes cheveux même s’ils sont coupés très court au ras de la tête. Ordinairement, je devrais les avoir déjà perdus… Ben, on verra dans quelques jours, sans doute…. Sachant qu’elle et moi, on risque de devenir des intimes puisque c’est elle qui me fournira en poison plus souvent que je l’aurai cru, on a parlé « cheveux ». Elle m’a confirmé qu’il est vrai que l’année suivant une chimio, notre cheveu repousse différemment, souvent frisotté…pendant dix à douze mois…et reprend sa forme par la suite. Considérant les primes que m’offre gracieusement mon abonnement à vie au cancer, je n’aurais sans doute plus le plaisir de porter des cheveux longs. Je n’aurai pas le temps de les refaire pousser, puisque je risque de me reshooter du venin dans les veines pour une autre période de combat ! Je vais donc m’acheter plusieurs perruques. Différentes les unes des autres. Je vais changer de look, selon mon bon plaisir. Je vais m’amuser avec de nouvelles têtes, selon mon humeur et ma folie. Des cheveux longs, des cheveux courts, Claire la Rousse, Claire la Noire, mais pas Claire la Blonde ! Claire, au toupet, Claire pas de toupet, Claire la Couette, Claire la Queue de cheval, etc., etc.…
Ça me fait du bien de me décharger le cœur auprès de vous… C’est vraiment thérapeutique, ce blogue. J’ai envie de sourire tout à coup. Je me trouve folle d’avoir ces idées de perruque !
Je suis toujours vivante ! Tant que je serai vivante, je mènerai le combat même s’il semble sans fin et perdu d’avance… Dans le coin à gauche, Métastase et dans le coin à droite, Claire la cancéreuse. Engageons le combat !
Décidément…Jamais, mais jamais de ma vie, je n’ai cru devoir vivre ce que je vis présentement. C’est capoté !Je me retrouve devant une femme oncologue que je ne connais pas, dans un minuscule bureau pas plus design qu’il faut et vlan ! Ma vie bascule !
« Combien d’années voulez-vous ? »
Je veux voyager avec Pierre… Quand j’aurai des périodes tranquilles, parce qu’on aura fait peur aux petites métas, on partira lui et moi voir Bahia sans doute ! Puis l’Egypte. Puis Stonehenge…La Toscane…
Les petites maudites métas. Ça sonne aussi bêtes que bétas… Que gros tas ! C’est fou, me voilà en train de rire de mes grosses rimes débiles….Franchement ! Puis, pourquoi pas…
« Combien d’années voulez-vous ? ». Mais, je réponds quoi… ? Je ne veux pas m’astreindre à donner un chiffre… Je ne veux pas enclencher le compte à rebours… même si je sais que biologiquement il est déjà engagé depuis un petit moment. Tac, tac, tac….tac, tac, tac…
J’ai des frissons !
C’est fou, mais j’ai tellement hâte au 27 février. J’ai hâte à mon deuxième traitement de chimiothérapie. J’aime être au combat. J’aime savoir que j’agis en laissant s’infiltrer dans mes veines le poison, mon allié, mon arme. Là, je suis vivante !
Dieu seul sait combien l’attente peut faire mal, beaucoup plus mal, terriblement mal. Parce que c’est mon âme qu’elle attaque ! Faut que je me protège contre cette arme malsaine, horripilante qui me plonge dans une certaine fragilité… que je connais mal.
Bonne nuit… !
Je vais aller dormir…
Je vous aime. Tous. Tellement. Chacun. Chacune. Merci de vous battre à mes côtés. Qui a dit que la guerre était facile ? Personne…
Merci de me laisser m’épancher sur votre épaule pendant que vous dormez…
Je me sens mieux. De vous avoir écrit, j’ai calmé ma peine, mon chagrin métastasique.
Dieu que je suis chanceuse de vous avoir…
Demain, est un autre jour…
Claire.
**note du blogueur (est-ce que ça se dit ?): pour plus d'information sur les stades et grades, vous pouvez allez
ici **