mardi 3 mai 2011

Un article paru dans le magazine VITA

Pour ceux et celles qui ne l'avaient pas lu

J'ai reçu plusieurs demandes...
Voici donc l'article qu'a écrit ma soeur Hélène, journaliste, dans la chronique CORPS ET ESPRIT – VÉCU du magazine VITA du mois d'avril dernier.
Vivre avec le cancer
Ma soeur, mon amie, la vie

Et si le cancer enseignait à vivre? À cette question qui peut sembler absurde, Claire, elle-même atteinte d’un cancer incurable, apporte une réponse… lumineuse !

par Hélène Matteau

24 janvier 2008. «Bonjour vous tous que j’aime, mes frères, mes sœurs, mes amis. Ce matin, j’ai appris une mauvaise nouvelle: j’ai le cancer!»
Quand j’ai reçu ce courriel, le temps s’est figé. Les mots de Claire, ma petite sœur, n’arrivaient pas à pénétrer mon cerveau. Pas ça, pas elle, si pétillante de santé, qui commençait, libérée, sa retraite. Et ses cinq enfants? Il est toujours trop tôt pour voir mourir sa mère!

Fin octobre 2010. Claire sort de chez elle, habillée bien chaudement. Elle traverse la rue, pénètre dans le sous-bois et emprunte d’un bon pas la piste de randonnée. Elle entreprend sa marche quotidienne. Une heure avec elle-même. Cette habitude, elle l’a adoptée à 55 ans, quand elle a appris qu’elle souffrait d’un cancer. Un sale cancer des ovaires, l’un des plus meurtriers de tous, parce que sans symptômes. Des métastases dans tout le corps. Incurable. C’était une petite bosse de rien du tout, dans le cou. Elle aurait pu ne jamais s’en inquiéter. Elle serait morte très vite.

Pourtant, trois ans plus tard, Claire est toujours là. Vivante, énergique, joyeuse … même si elle souffre, depuis, d’un deuxième cancer, du sein celui-là. Bon dieu, comment peut-elle garder le moral ? Et plus encore, faire des projets? Car non seulement elle en fait, mais elle les réalise! Un blogue régulièrement alimenté, trois nouveaux bouquins publiés avec tout ce que cela comporte de suivi médiatique, un déménagement avec changement complet de cadre de vie, une vie familiale intense… Et j’en passe.

Aujourd’hui, je l’accompagne, magnétophone en poche. Une promenade en pleine nature, rien qu’elle et moi, rapprochées sous l’abri des derniers feuillages, pour parler des «vraies affaires». Celles qui regardent l’âme.

Claire n’oubliera jamais le choc du tout premier jour. «Juste le mot cancer, et tout de suite j’ai pensé à la mort. C’est vraiment un coup de poing. Je me suis sentie basculer comme si, littéralement, j’allais tomber en bas de ma chaise. Ce mot-là m’arrachait tout projet, tout avenir. Il m’a fallu quelques heures pour décortiquer la nouvelle. Je n’arrivais pas à dormir ni à saisir à quoi je devais m’attendre. Je ne connaissais pas ce cancer-là, je n’avais pas de douleur, seulement une bosse. Je me disais que c’était une erreur, qu’ils s’étaient trompés. Non, non, non, je ne veux pas mourir! Et puis, lentement, je me suis mise à y penser, à la mort, à comprendre qu’elle faisait maintenant partie de ma vie.
― Tu t’es faite à l’idée de mourir?
― Oui. Je pourrais toujours espérer un miracle, mais je perdrais mon temps. Surtout que les médecins m’ont expliqué que dans mon cas, il n’y a pas de guérison possible. Seulement sept pour cent de chances de survivre cinq ans. Ma finitude est donc là, devant moi. Mon compte à rebours a commencé en 2008, alors tu comprends que j’ai l’impression que les grains du sablier s’écoulent de plus en plus vite … Je sais bien que je ne peux pas me projeter 10 ans en avant, mais je ne veux pas y penser: je rejette absolument tout ce qui est négatif dans ma vie ! Me projeter de six mois en six mois, ça me suffit! Et puis je choisis les personnes avec qui je désire garder contact. J’ai découvert que certaines relations étaient toxiques pour moi: je les ai laissées tomber. Aussi, j’ai appris à vraiment suivre mon intuition. Quand je l’entends me dire: «Claire, tu n’es pas bien», je l’écoute. Je n’ai plus ni le temps ni l’énergie pour me battre contre elle.
― Quand on t’a annoncé que non seulement ton cancer récidivait, comme prévu, mais qu’il y en avait un deuxième, à quoi as-tu pensé ?
― Que j’avais beau être forte, ça commençait à aller mal un peu! [Rires] Et puis je me suis dit: «OK, cette fois je sais quoi faire, comment l’affronter, le cancer. Mon corps m’a bien servie jusqu’ici, maintenant qu’il a des problèmes, c’est à moi de prendre soin de lui. Je suis mes traitements, je me nourris bien, je fais de l’exercice…

Mais je me suis inquiétée, je l’avoue : qu’est-ce que je vais laisser en héritage? J’ai écrit des livres, c’est une chance! Surtout L’Embellie, un cancer dans ma vie. Celui-là, je tenais à ce qu’il se fasse, et il existe. Je vais donc laisser à mes enfants mes livres, mes poèmes, puis mes chansons et mes compositions musicales. Ces temps-ci, j’enregistre un CD qui regroupera tout ça. Ce sera mon message: «Regardez, on peut créer! Vous en êtes capables, créez votre vie!»
― As-tu eu des périodes du genre «Pourquoi ça m’arrive à moi?» ?
― Non. Je n’ai jamais victimisé ni culpabilisé. Je n’ai même pas pensé: «Je n’aurais pas dû fumer». J’ai fumé 36 ans, j’ai peut-être une part de responsabilité dans ce qui m’arrive, mais je ne regarde pas en arrière. Même si je me flagellais, mon bagage resterait ce qu’il est. Je ferai avec! Je peux peut-être influencer l’avenir: penser ça me donne de l’énergie. Je vis dans mon présent. Je n’ai pas ce qu’on appelle une «attitude positive», je ne cherche pas le bonheur. Simplement, j’aime la vie.

En fait, plus je pense à la mort, plus je pense à la vie. Ça marche ensemble, on ne peut pas séparer les deux. Et plus je pense à la vie, moins la mort me fait peur. C’est extraordinaire! Mais j’aimerais vivre longtemps, parce que j’aime la vie, sa force. C’est ma plus belle découverte. Avant, avec les enfants, le travail,je n’avais jamais le temps de m’arrêter à la beauté de la vie. Aujourd’hui, je prends tout ce qu’elle m’offre. Tu vois le soleil à travers les branches? Eh bien je le prends!
― Savoir la mort si proche, est-ce que ça t’a rapprochée de la religion ?
― J’ai abandonné la religion il y a très longtemps. Je n’y suis pas revenue. Mais il m’est arrivé une drôle de chose. En faisant ma marche, je suis passée devant une statue de la Vierge, près d’un couvent. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis mise à lui parler. Imagine! Moi qui n’ai jamais été portée vers elle, au contraire (elle m’a toujours énervée!), je lui ai dit: «Marie, t’es une femme, peux-tu m’expliquer pourquoi mes ovaires, qui ont permis de donner la vie à tant de reprises, m’enlèvent la mienne aujourd’hui?» Depuis ce jour-là, elle est devenue ma confidente. Pas une sainte, une femme comme moi. Dieu? Je l’associe au soleil. Quand je fixe la lumière à travers les branches, je le sens. Je lui demande: «Donne-moi l’énergie de poursuivre» et ça me rassure. C’est ma forme de méditation à moi.

Tu sais, j’ai hâte de sortir de mon corps. Il y a une date fixée pour moi sur un calendrier, quelque part, et ce jour-là je vais enfin être libérée, je vais devenir moi tout entière, avec mon énergie entière. Mon corps aura fait son temps. En fait, je ne mourrai pas. Je suis devenue très consciente de ça: on est éternels, on a toujours été, on fait juste entrer dans un corps, puis on l’abandonne et on continue. J’ai une image dans la tête, celle de l’océan. Prends une goutte, n’importe laquelle. Si tu la relances dans l’océan, tu ne peux pas dire: tiens, la voilà, je la vois! Mais tu ne peux pas dire non plus qu’elle a disparu. Simplement, elle est redevenue l’océan.
― Tu as trouvé le bonheur?
― Je préfère parler de joie intérieure. De lumière. C’est tellement beau ce que je vis, je souhaiterais un cancer à tout le monde, juste le temps d’être obligé d’y faire face! [Rires] Mais je suis encore ici, sur Terre, je ne suis pas encore désincarnée, la vie est toujours belle et j’ai encore besoin des autres. J’ai de la difficulté avec le mot bonheur. On dirait, des fois, que les gens se sentent obligés d’être heureux. Alors ils forcent la note. C’est très exigeant! Ça arrive à plusieurs malades à qui on répète que, pour s’en sortir, il leur faut prendre une «attitude positive». Ça devient un devoir. S’ils n’y arrivent pas, ils se sentent coupables. C’est horrible. Il n’y a pas de recette de bonheur, pas de mode d’emploi. Seulement l’ici-maintenant, sans forcer.
Il m’arrive d’avoir de grosses «crises de braillage» dans le bois. Un jour, j’ai piqué une colère noire. J’étais révoltée contre tous les deuils que j’avais à vivre: mes projets de retraite, ma vie de couple vieillissant, les petits-enfants que je ne connaîtrai pas. J’ai tout pleuré ce que je pouvais pleurer. Puis je me suis dis: «Et maintenant, qu’est-ce que tu fais?» Je ne me crée plus d’attentes. Si je ne deviens jamais grand-mère, mon deuil aura été fait. Si je le deviens, ce sera une joie totale. J’ai commencé à écrire un autre livre. Je le finis? Merveilleux! Non? Tant pis! Je suis prête à partir. »

Au bout de notre chemin, un large étang, serein. Des bernaches se dandinent sur la rive, des malards se chauffent sous un rayon oblique. Un écureuil pressé nous passe entre les pieds. C’est le crépuscule. La vie, la mort, le temps, l’éternité… Ici, maintenant, tout ça s’entremêle. Elle a raison, ma petite sœur. La mort est dans la vie, la vie est dans la mort. Voilà peut-être la leçon du cancer…

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