jeudi 27 mars 2008

Le regard des autres...

Quand je vais faire mes emplettes, je porte un genre de turban en velours marin qui couvre ma tête et me protège du froid. Je le trouve particulièrement confortable. Enfin beaucoup plus que mes perruques… Il est vrai qu’il ne cache pas totalement la nuque dénudée et qu’il fait porter le front haut ! Mais Pierre trouve qu’il me va bien…c’est ça l’essentiel !

Ce matin, j’avais à me rendre dans un magasin de grande surface. Alors que je me promenais au travers des rangées, regardant tranquillement ici et là, j’ai entendu : « Ça imagine qu’on le voit pas qu’elles n’ont pas de cheveux…Les perruques, ça pas été inventées pour rien !».C’est la première fois que j’ai eu à confronter le regard d’une inconnue. Ouvertement. Avec même témérité. Mais que quelques secondes seulement… Je n’ai pas eu la force de répliquer, de riposter, de m’objecter… Rien. Le cancer me rend vraiment vulnérable. On dirait que j’ai moins d’aplomb, d’audace. Mon impudence s’est fragilisée au point d’en perdre la parole. Je suis restée muette. La seule réaction de défense que j’ai pu manifester fut quelques larmes silencieuses que je n’ai pas su contrôler. Tout à coup, je n’étais plus sûre de rien. Plus sûre de moi. Je me sentais coupable. J’étais soudainement marginalisée. Exclue. Dans ses yeux, je lisais le malaise de cette femme, sa peur de regarder la maladie en face ! Près d’elle, une dame âgée, sa mère sans doute tant elles avaient de ressemblance physique. Je l’ai dévisagée deux ou trois secondes, espérant lire sur son visage un peu d’humanité ou un quelconque désaccord face aux propos de sa fille. Rien ! Elle n’a pas osé soutenir mon regard, préférant s’attarder aux fleurs de plastique qui traînaient dans son panier.

Le regard des autres est difficile à subir. Voilà la découverte de ma journée. Depuis, j’ai réfléchi… La compassion envers les autres n’est pas innée. Une femme à la tête rasée fait peur. On préfère qu’elle se cache sous des artifices si elle veut obtenir le droit de magasiner, d’aller au restaurant… On tolère les skins head, les sidatiques… mais une cancéreuse, il semble que non.

Une fois rendue dans ma voiture, je me suis laissé aller à ma tristesse. Oui, j’ai perdu de mon assurance légendaire depuis deux mois. C’est difficile à accepter. J’ai aussi perdu le masque qui cachait mes émotions quotidiennes et derrière lequel je savais si bien lancer insolemment des défis, même par bravade. J’ai pris conscience que je n’ai plus la maîtrise totale de ma vie puisqu’un seul regard méprisant suffit à me jeter à terre. Que ce regard pourrait détruire ma journée si j’acceptais d’y demeurer soumise. J’ai donc pris une décision. Dorénavant, je me donne la permission de vivre mes émotions pleinement sans devoir les avaler d’un trait, d’un seul coup. Je me donne le droit de me choisir avant les autres. Moi, dans ce que je suis. Je n’ai plus à me définir par le truchement de mes réalisations, de mes actions, des mes amis, de mes connaissances, des autres. Je suis MOI. Être moi. J’apprends peut-être enfin à me respecter, dans mes forces et mes faiblesses, dans ce que je juge acceptable ou inacceptable. J’apprends peut-être à laisser tomber l’idée de ce que je me faisais de moi-même jusqu’à tout récemment et à découvrir la véritable personne que je deviens et deviendrai avec le temps, la maladie et la guérison que j’attends et que j’appelle à mon secours. Le regard des autres ne me touchera plus désormais. Je m’en fais la promesse…

Claire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Claire,

Tu sais, lorsque les gens réagissent à ce que nous sommes c'est souvent parce qu'ils se sentent concernés. ILS NE RÉALISENT PAS QU'ils nous font du mal, ils ne font que réagir. Peut-être que cette femme vit quelque chose de semblable dans son entourage.

Que cette situation t'amène à te choisir et à vivre tes émotions, ça c'est quelque chose de très positif. Bravo!

Je t'amène cette phrase que j'ai lu derni^èrement et qui est pleine de bon sens:''on ne peut atteindre l'aube sans passer par la nuit''.

Bonne journée,

Louise xxx

Anonyme a dit…

Ma belle,

Ce matin, j'ai pris connaissance de ta dernière entrée au blog.

Ce que tu décris est une autre fascinante facette de l'humanité à son meilleur! Tu as rencontré la mesquinerie et sa fille la méchanceté, toutes deux alimentées PAR LA PEUR et le besoin de conformité qui, croit-on, rassure.

Le cancer fait peur. Il remet les gens face à leur propre fragilité. Il dit que nous sommes TOUS en danger de mort.
Ce que t'as dit cette femme, en somme, c'est : tu me fais peur, tu me fais penser que la maladie me guette peut-être, tu n'as pas le droit de me remettre face à cette réalité que je veux fuir, de m'obliger à la lucidité. Pourquoi n'es-tu pas comme tout le monde?

Quand les mêmes gens apeurées n'ont pas de cancéreux à se mettre sous le regard, ils jettent leur dévolu sur d'autres sources de remise en question... par exemple les handicaps et l'obésité... Et ça vient de personnes dont on n'attendrait pas cela... des proches même parfois, et ça surgit au détour d'une phrase, d'une moue, d'un conseil, et ça te déchire.

Tout cela te touche et te frappe davantage, maintenant, parce que tu es en état de grande vulnérabilité aussi bien physique que physiologique et psychologique...
Il faut te fabriquer un bouclier pour que les méchancetés des petits apeurés ne t'anéantissent pas à long terme.

CLAIRE, tu as le droit d'ËTRE.
Tu as le droit de vivre comme tu l'entends.
Tu as le droit de sortir sans perruque et même sans turban.
Tu as le droit de pleurer seule et devant les autres.
Tu as le droit de dire ce que tu penses, quand tu le penses.
Tu as le droit de réagir aux provocations.
Tu as le droit de crier que tu en as assez.
Tu as le droit d'être en maudit, en câlisse et même en sacramant et DE LE FAIRE SAVOIR aux personnes concernées.
Tu as le droit de faire le ménage de ton espace intime et de ton espace environnant.
Tu as le droit de t'aimer au delà de l'image du miroir et tu as même le droit d'aimer cette image nouvelle qu'il te renvoit.
Tu as le droit de ne pas vouloir plaire à tout prix.
Tu as le droit de ne plus vouloir être manipulée.
Tu as le droit d'avoir tes idées, tes opinions, et aussi d'en changer.
Tu as le droit de penser à TOI.
Tu as le droit d'ÊTRE TOI-MÊME

Et c'est comme ça que je t'aime...

Michèle