samedi 20 novembre 2010

Au bout du chemin...

Hier, au début de l’après-midi, alors que j’amorçais ma marche quasi quotidienne, j’ai rencontré un de mes voisins, une personne fort agréable, souriante. Lorsqu’il m’a appris que sa sœur venait de décéder le matin même d’un cancer du sein, j’ai compris pourquoi ses yeux étaient empreints d’une vague de tristesse. Oui, elle était dans le coma depuis une bonne semaine… Il m’a confié son désarroi devant les grandes souffrances que sa sœur avait endurées depuis quelques mois, son cancer ayant pris le contrôle absolu de son corps fatigué, épuisé par un dur et long combat. Cela m’a émue…
On a beau ne pas le vouloir, mais il est difficile de ne pas faire le parallèle…
J’ai repris ma marche… et plusieurs pensées m’ont envahie…
La souffrance… Mais à quoi sert-elle? Surtout lorsque le corps est déjà vaincu par la maladie… Qu’on se retrouve en fin de vie, au bout du dernier chemin, celui qui nous amène vers l’ailleurs…
Certains philosophes croient à l’utilité de la souffrance puisqu’elle nous heurte à notre condition humaine, à notre fragilité physique. Décidément! Je remercie le Ciel que mon oncologue n’applique pas cette philosophie…
Je ne suis pas une philosophe de profession. Je n’ai pas de doctorat non plus… Mais intrinsèquement, je n’adhère pas à cette théorie qui m’horripile.
La souffrance ? Non!
Je pense aux répercussions négatives qu’elle a sur le malade lorsqu’elle n’est pas soulagée. Je pense aussi à la crainte qu’elle crée lorsqu’on l’anticipe… Il suffit de visiter une salle d’attente en oncologie et d’écouter les conversations à voix basse… Tout se résume à trois mots : peur; attente; souffrance!
Puis, qu’on ne vienne pas me dire que laisser libre cours à la souffrance n’engendre pas une certaine détresse émotionnelle? Non seulement sur le malade, mais sur sa famille. Oui, il y a un effet de contagiosité qui mène vers la fatigue, l’épuisement tant physique que psychique… Et que dire du désordre émotif que crée notre impuissance devant la souffrance de ceux qu’on aime? Je peux très bien comprendre le désespoir qu’elle entraine et ne pas m’étonner devant les demandes d’euthanasie ou de suicide médicalement assisté.
Oui, la douleur et la détresse psychologique finissent par se côtoyer, j’en suis certaine! A-t-on le droit de laisser un malade souffrir autant, tant physiquement que psychologique alors qu’il emprunte le dernier chemin de sa vie terrestre ? Il me semble que nous avons ce droit fondamental de vivre consciemment cette étape importante de notre vie, si nous en avons le désir…
Je sais que lorsque je serai rendue en fin de vie, alors que je serai dirigée vers les soins palliatifs, le médecin verra à respecter ma décision après m’avoir informée des conséquences de mes choix, si je suis en mesure d’exprimer encore ma volonté, bien évidemment. Ce que je me souhaite du plus profond de mon cœur… Je veux que ce soit ma décision, prise en accord avec ma petite personne et mon corps malade! Je veux être consciente… C’est mon grand souhait! Je ne veux surtout pas que ce choix revienne aux miens. Oh que non! Je ne veux pas susciter une culpabilité́ ultérieure et un deuil pathologique. Je consulterai ma famille évidemment… mais je prendrai moi-même la décision finale… Je ne désire pas leur laisser ce devoir fastidieux une fois parvenue au terme de mon existence.

Déjà, je sais que je veux des soins qui viseront à améliorer le confort et la qualité́ de ma vie en soulageant mes souffrances. Je veux pour moi et les miens tous les traitements et soins d'accompagnement physiques, psychologiques, spirituels et sociaux. J’espère que mon entourage s’appuiera sur ce choix philosophique : la mort fait partie de la vie! Elle est un processus naturel…
Oui, un processus naturel, mais pas nécessairement facile à accepter…
En oncologie, on reconnait que le patient atteint de cancer traverse une véritable épreuve et qu’il peut être dans une souffrance psychique importante. Certains en parlent, d’autres pas. Certains l’expriment par des signes qui nous semblent clairs comme pleurer, d’autres par des comportements plus difficiles à saisir, décrypter.
Entre vous et moi, il n’y a pas qu’une seule manière d’aller mal… Tout diffère selon nos personnalités, nos cultures, nos histoires. On manifeste donc différemment notre détresse. Ce n’est pas parce qu’un patient semble aller bien qu’il va bien!!! La souffrance psychique n’est pas proportionnelle aux millilitres de larmes versées. Les pleurs ne sont pas forcément inquiétants. Inversement, l’absence de larmes n’est pas nécessairement rassurante.
L’équipe médicale sait aussi que le repli ou la difficulté de communication ne signifie pas un refus de communication. Les besoins et les difficultés psychologiques s’expriment rarement directement. Peu de patients disent « j’ai besoin de vous parler », « je suis angoissé, j’ai besoin que vous me rassuriez ».
Beaucoup de patients par contre ont peur : peur d’être abandonné, rejeté du monde
«normal», de leur famille, de leurs amis s’il en reste… Je sais que j’aurai peur, une fois rendue à cette étape de ma vie… Pas peur de la mort, au contraire, elle est délivrance, mais peur tout simplement… Peur d’exprimer vraiment ce que je ressens par peur de « faire peur ».
Nombreux ont peur de la souffrance physique, de l’inconnu, de la mort possible, de perdre tout à petit feu : des morceaux de corps; des bouts d’identité; leur fonction sociale, professionnelle, familiale. Leur vie quoi !
Moi, j’ai peur de me lâcher moi-même, de me désinvestir de mon corps souffrant.
Je ne veux pas souffrir…
Je ne veux pas de la douleur envahissante. Il me semble que plus une douleur perdure, plus elle entraîne un repli sur soi...
La douleur ne sert à rien… Elle ne fait que rappeler l’existence et la présence de la maladie.
Elle prend toute la place et empêche de penser et d’agir… et donc d’être et d’exister. C’est la tourmente! Je n’en veux pas!
On dirait que je viens d’établir bien malgré moi mes dernières volontés…
Ne vous en faites pas, je vais bien malgré tout… Je ne suis pas triste! Je suis sereine et encore très lucide.
J’ai le cœur joyeux et la Vie n’a jamais été aussi belle…
Je vous aime, tant et tant…
Prenez soin de vous! C’est un ordre!
Claire, en pleine réflexion...

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